Lorsque je me suis lancé dans ce reportage grâce au soutien de la BNF j’imaginais proposer une série d’images qui réunirait le photoreportage et la science. Ce que je propose après une année de travail sur ce sujet tient plutôt de l’impression ; ces images sont là pour rendre compte d’un ressenti, d’une sensation d’inquiétude et de malaise face à l’ampleur des différentes formes de pollution de nos côtes.
Après les épisodes dramatiques liés à la prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes, c’est le littoral basque qui a fait les frais de la pollution des eaux. C’est d’abord le « liga », boue maritime visqueuse, qui a réveillé la colère des marins pêcheurs basques, puis la « barbe de Neptune » a relancé les recherches autour de la présence et de l’impact des polluants émergents et autres micro-polluants d’origine médicamenteuse ou liés à la pétrochimie, et c’est finalement l’arrivée inopinée de l’Ostreopsis qui a fait l’actualité de ces dernières années au Pays Basque. Si tous les organismes de défense de l’environnement tirent la sonnette d’alarme depuis les années 70, les plages de la côte aquitaine continuent à recevoir des évaluations très positives de leur qualité des eaux et les mesures prises ponctuellement ne suffisent pas à enrayer un problème sanitaire qui menace à court et long terme l’équilibre environnemental, la santé et l’économie bleue de la région.
La presse s’est fait l’écho des fermetures des plages au cours de l’été 2021. Après les périodes de confinement, les français rêvaient d’un été libéré. C’était sans compter sur une nouvelle invitée dans le panorama sanitaire catastrophique de l’année : l’Ostreopsis. Cette microalgue toxique n’avait a priori aucune raison de s’installer sur nos côtes atlantiques. Elle trouve son origine dans les tropiques et prolifère habituellement dans les eaux chaudes et peu profondes. On l’avait trouvée il y a quelques années en Méditerranée mais les spécialistes peinent toujours à expliquer sa présence dans le sud-ouest de la France. Les chiffres publiés sont encore difficiles à interpréter car la présence de l’Ostreopsis est une donnée nouvelle qui n’a été intégrée que partiellement dans le bilan publié par l’ARS pour l’été 2021. Le nombre moyen de jours de fermeture des plages est en baisse par rapport à la saison 2020 et ce malgré les 722 cas de contamination par le micro-organisme répertoriés pour le seul mois d’août 2021. Les recherches sont en cours, les travaux des différents groupes scientifiques en charge des analyses avancent peu à peu et on connaît désormais les effets néfastes de cette microalgue sur l’homme et l’environnement. Les efforts devraient à présent se concentrer sur les causes de la présence de ces microalgues exogènes sur nos côtes, la discrimination des souches siamensis et ovata lors des prélèvements et le renforcement des mesures de prévention et de sensibilisation pour protéger les usagers et les écosystèmes.
Le phénomène Ostreopsis est le déclencheur de ce projet de recherche, de réflexion et de création qui m’a finalement porté vers une approche plus large de la question des pollutions côtières. Au fil de cette enquête sur le terrain, j’ai eu la chance de rencontrer les personnes qui font face à cette problématique en première ligne, les acteurs qui travaillent sur la question de la qualité des eaux des côtes basques au quotidien. Professionnels, bénévoles, autorités locales, scientifiques, usagers en tout genre, jeunes et moins jeunes ; on voit émerger aujourd’hui une mobilisation toujours plus forte et organisée autour des grandes questions que posent ces épisodes récurrents de pollution du littoral. J’ai aussi pu assister à la mise en œuvre des nouveaux protocoles de surveillance, de contrôle et d’analyse des eaux. J’ai découvert les actions collectives ou individuelles qui tentent d’enrayer à petite ou grande échelle la dégradation de la qualité des eaux de la côte basque. Certaines portes sont restées fermées et l’accès aux données chiffrées et aux conclusions des analyses reste encore complexe. Malgré tout j’ai pu naviguer sur l’Itsas Belara, le bateau qui collecte les déchets de la côte basque, j’ai pu partir pêcher avec Christophe pour voir si le « liga » était toujours présent dans la baie de Saint-Jean. J’ai pu dialoguer et échanger avec Sylvie Peres qui travaille sur les effets néfastes de la pollution chimique sur nos organismes, avec Marc de Surfrider Foundation qui est à l’initiative du projet Curl qui vise à mieux comprendre la pollution chimique des eaux et son impact sur la santé des surfers, j’ai pu accompagner Elvire lors des prélèvements pour surveiller le retour de l’Ostreopsis, j’ai pu photographier les échantillons dans les laboratoires de l’Ifremer, j’ai rencontré Céline et Tom qui m’ont fait découvrir les tonnes de plomb qu’ils amassent peu à peu, plongée après plongée, parce que c’est important pour eux d’agir à leur échelle, je les ai aussi accompagnés lors d’une action citoyenne de ramassage de déchets sur la plage, j’ai rencontré Charly, jeune sauveteur côtier, et Mathilde, petite baigneuse du Port Vieux.
En partant de la plus petite des échelles, celle de cette microalgue toxique, j’ai pu constater que ces épisodes de contamination cristallisent toutes les problématiques actuelles en jeu dans la gestion de nos espaces côtiers : réchauffement climatique, assainissement et traitement des eaux, augmentation du volume des eaux de pluie, pollution chimique liée à l’industrie et à l’urbanisation, dérèglement des écosystèmes, insuffisance des moyens financiers, techniques et scientifiques, impacts néfastes de l’affluence touristique, etc. Les photographies de cette série sont là pour mettre en images un territoire touché par ces crises et ces déséquilibres, pour faire dialoguer la photographie scientifique, le paysage, les témoignages et les portraits tirés lors des rencontres et entretiens avec les acteurs locaux, pour rendre compte des enjeux de l’arrivée de cette microalgue toxique sur la côte basque et du grand défi environnemental et sanitaire que la lutte contre les pollutions des eaux du littoral représente à l’échelle locale et, par extension, au niveau national et global.