Lumières Clandestines explore la tension entre la surabondance d’images à l’ère numérique et leur effacement progressif sous l’effet de la censure, en prenant comme point de départ des contenus issus de la pornographie amateur en ligne. Ce projet artistique met en évidence les conséquences de la régulation des plateformes de partage de contenus intimes, tout en interrogeant les enjeux éthiques et politiques qui en découlent.
En 2024, le procès Mazan met en évidence la problématique de la circulation de contenus illégaux. Quarante-neuf hommes sont accusés d’avoir violé Gisèle Pélicot, droguée à son insu par son mari, Dominique Pélicot. Les faits se sont déroulés entre 2011 et 2020. Bien que ces vidéos ne soient pas nécessairement diffusées sur des plateformes de partage pornographique , cette affaire a ravivé le débat sur les contenus non consensuels en ligne. Cela a conduit à une régulation accrue sur ces sites, qui ont commencé à censurer des mots-clés ambiguës, tels que “dormir” ou “sleep,” pour éviter la diffusion de vidéos de viols filmés à l’insu des victimes. Cette censure, bien qu’indispensable pour protéger les victimes et garantir un espace numérique éthique, soulève des questions sur l’impact de la régulation sur notre mémoire visuelle.
Le projet se situe à l’intersection de cette régulation politique et de la question artistique de la mémoire des images. En utilisant des photos extraites du site de partage  XHamster en 2015 – images largement effacées par les régulations – il souligne l’évanescence des archives visuelles. En capturant ces images à l’aide d’un téléphone portable, j’introduis volontairement des imperfections (flou, halos lumineux) qui anonymisent les corps tout en leur conférant une nouvelle dimension esthétique. Cette réappropriation interroge l’acte de voir et de consommer des corps devenus anonymes par la prolifération massive de contenus numériques.
La censure appliquée par des plateformes comme Pornhub reflète la nécessité urgente de réguler l’exploitation de l’image intime, mais soulève également des questions sur ce qui est effacé de la mémoire collective. Ce processus d’effacement pose des interrogations sur la valeur des archives dans un monde où les images deviennent de plus en plus éphémères. Que signifie cette circulation incessante de contenus visuels qui apparaissent, disparaissent, puis sont effacés par des algorithmes ou des décisions politiques ?
Le projet vise à réhumaniser ces corps anonymes et à leur redonner une place dans l’histoire visuelle, tout en engageant une réflexion critique sur la censure. Il interroge le contrôle croissant sur les images, les limites de la protection des victimes et comment la régulation peut transformer des corps en objets visuels interchangeables, soumis aux aléas des décisions politiques et juridiques. En mettant en lumière cette dynamique complexe entre surveillance et mémoire visuelle, le projet invite le spectateur à réfléchir à la valeur des images intimes et aux enjeux politiques qui façonnent notre perception de l’intimité. Ce faisant, il incite à reconsidérer la place de la pornographie dans notre rapport à la consommation visuelle et interroge les limites d’un contrôle qui, bien qu’il protège, contribue aussi à effacer des pans entiers de notre mémoire numérique.
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